Évolution et trajectoires des TMS : ergonomie et épidémiologie

Coordonné par : M-E. Major, A. Aublet-Cuvelier, S. Stock, N. Nicolakakis, J. Bodin

Perçu initialement comme un continuum évoluant progressivement de micro-lésions à un stade infra-clinique jusqu’à des pathologies avérées et durablement invalidantes, le développement des troubles musculo-squelettiques (TMS) ne suit vraisemblablement pas ce parcours linéaire. Leur vicariance a été soulignée par différents auteurs, issus de disciplines variées (médecine, ergonomie, épidémiologie principalement). L’évolution des TMS est en fait marquée par des périodes de dégradation, d’amélioration, de rémission voire de guérison totale pour certains, tandis que pour d’autres, ces troubles évolueront vers des formes chroniques et irréversibles. La co-existence de plusieurs TMS évoluant pour leur propre compte chez un même individu et leur mouvance au sein d’une population exposée constituent des sources de variabilité importantes. La multiplicité des facteurs de risque professionnels et extra-professionnels et de leurs déterminants, ainsi que le poids de leur antériorité dans le modèle probabiliste de survenue des TMS sont autant d’éléments susceptibles d’en complexifier la compréhension, le suivi longitudinal et l’approche préventive. En parallèle, les trajectoires professionnelles des travailleurs et des travailleuses sont plus que jamais marquées par des interruptions, des changements d’environnement de travail, la nécessité d’adaptations rapides à un milieu constamment évolutif, en quête de flexibilité dans le temps et dans l’espace à tous les niveaux (fluctuation du marché, performance productive, innovation technologique et organisationnelle entre autres).

L’ergonomie et l’épidémiologie, dans une perspective de prévention intégrée des TMS, doivent concilier des enjeux multiples dans ce contexte. L’ergonomie repose sur une démarche d’intervention privilégiant la compréhension de l’activité réelle de travail, en la contextualisant et en travaillant sur le concept de variabilité. Elle considère les opérateurs et les professionnels qui les entourent en tant qu’acteurs exerçant des formes de régulation dans une optique à la fois de préservation de soi, de construction de la santé et de recherche de performance. La validation des résultats et les actions qui en découlent se construisent avec l’ensemble des parties prenantes, dans une vision systémique et participative. L’épidémiologie quant à elle s’appuie sur une approche populationnelle et des méthodes quantitatives, cherche à établir des relations de causalité entre des facteurs de risque et leurs effets sur la santé, à caractériser le poids de certains facteurs par rapport à d’autres dans la survenue des TMS, étudie des facteurs pronostiques d’évolution de ces pathologies et évalue l’efficacité d’actions/programmes de prévention. Par cette voie, elle vise à caractériser des invariants et à fournir des constats généralisables, reproductibles, validés statistiquement, sur la base d’études à caractère transversal ou longitudinal.

Les rapprochements opérés depuis plus d’une vingtaine d’années entre ces deux disciplines et ces deux approches, au bénéfice de la prévention des TMS, s’avèrent tout à fait fructueux. Au-delà de ces deux disciplines, la complémentarité et l’intégration des approches qualitative et quantitative conduisent à l’enrichissement des modèles de compréhension des TMS, mais aussi des modèles de l’action et de l’évaluation. Ces rapprochements sont à l’origine de l’évolution et du développement de méthodes et d’outils, tant pour la recherche que pour l’intervention. Ils permettent ainsi une fertilisation croisée des savoirs et des pratiques au bénéfice de la prévention des TMS au profit ultime des travailleurs, des employeurs et de la société. C’est ce que s’attacheront à montrer les intervenants au cours de cette session, qu’ils soient chercheurs ou praticiens.